218
Ces saturnales sans nom se passaient au milieu d'une cacophonie épouvantable. Tous ces déments chantaient, criaient, hurlaient, sifflaient, imitaient les cris des animaux; certains déclamaient, pendant que d'autres prophétisaient des malheurs prochains ou des bonheurs futurs. En un mot, l'odieux le disputait au grotesque.
Peu d'hommes prenaient part à ces scènes impies. Les femmes, et surtout les jeunes filles, fournissaient le principal contingent à l'armée des convulsionnaires (i). Selon leurs talents, on les divisait en trois classes. Il y avait les aboyeuses, les miaulantes ol les sauteuses, et chacune de ces qualifications répondait à une spécialité dûment démontrée. Ainsi, le surnom d'aboyeuses était donné à celles qui imitaient le mieux les aboiements du chien ; les miaulantes étaient celles qui excellaient à rendre le miaulement du chat; enfin les sauteuses étaient celles qui montraient le plus d'agilité dans les cabrioles et les contorsions que toute convulsion, faite dans les règles de l'art, exigeait.
Mais de tous les convulsionnaires celui qui eut le plus de célébrité fut un certain abbé Becherand de la Motte, chanoine de Montpellier, envoyé à Saint-Médard par son évêque Colbert, grand janséniste et défenseur acharné des miracles. Cet ecclésiastique était affligé depuis sa jeunesse d'une claudication très prononcée (2). Convaincu, affir­mait-il, que par l'intercession du diacre il pourrait etre guéri de son infirmité, il fit plusieurs neuvaines au tombeau. Dans son zèle il se rendait chaque jour à Saint-Médard, et quelquefois le matin et le soir. La constance et la foi qu'il semblait mettre à chercher sa gué­rison dans l'appui des secours célestes lui valurent une grande noto­riété, non seulement auprès des spectateurs qui assistaient à l'accom­plissement des miracles, mais encore parmi la population parisienne. Quand il arrivait au cimetière (3), il commençait par s'abîmer en des
« promises dans les Saintes Ecritures. » (Recherches de la vérité ou lettres sur l'oeuvre des convulsions ; première lettre, i5 juillet iy33. Bibliothèque Mazarine, n° 19206.)
(i) « Le nommé Humbert, demeurant rue Saint-Jacques, ayant dit et demandé dans le cims-« tière pourquoi M. Pâris ne guérissait point les ho mmes comme les femmes, la populace a 1. manqué de lui tomber sur le corps, et on a été obligé de le faire conduire par le suisse et de « le faire sortir par une porte de derrière. » (Rapport non signé du lundi 6 août 1731. — Archives dela Bastille, volume 10196.)
(2)   Il avait une jambe plus courte que l'autre d'environ 14 pouces. Au cours de ses neuvaines au tombeau, il affirma que sa jambe infirme s'allongeait d'une ligne tous les trois mois. Un mathé­maticien, appartenant très certainement au parti moliniste, calcula qu'il faudrait 45 années pour qu'elle atteignît sa longueur normale ; cette guérison à long terme n'eut pas le don de désespérer le patient et ses admirateurs.
(3)  « ll arrive d'un air gai et délibéré avec une nombreuse escorte de gens a Aidez. Dès qu'on